Nous reproduisons ci-dessous l’interview que le Cardinal Maurice E. Piat a accordée à La Vie Catholique, dans le cadre de son premier anniversaire de cardinalat.
- Un an depuis que vous êtes Cardinal. Quelle relecture faites-vous de cette année ? Et que retenez-vous comme temps forts ?
Tout d’abord j’ai été très touché par l’accueil que m’ont réservé et le gouvernement et la population à mon retour de Rome. Je garde aussi un beau souvenir de cette eucharistie joyeuse à Marie-Reine-de-la-Paix qui m’a été d’un grand soutien.Puis j’ai été invité à rendre visite aux Eglises des différentes îles de l’Océan Indien, Rodrigues d’abord avant Noël, puis Madagascar en janvier et les Seychelles en février, et enfin la Réunion en septembre dernier. Partout j’ai senti une grande attente chez les personnes que j’ai rencontrées, que ce cardinalat soit accueilli comme un cardinalat pour l’océan indien. C’est comme si les églises de la Grande Ile et des petites îles s’attendent à ce que je porte avec elles leurs joies, leurs peines, leurs avancées comme leurs difficultés et que j’en fasse écho dans différents forums romains.
Après ces visites, j’ai eu deux longues périodes de maladie, une pendant le carême et l’autre après Pâques et ce n’est qu’en juin que j’ai repris mes activités. Ces périodes creuses de maladie m’ont fait prendre conscience de ma fragilité et m’ont invité à ne pas oublier que c’est dans la faiblesse que le Seigneur déploie sa puissance.
- A l’annonce de votre cardinalat, vous avez placé celui-ci au « service du pays». Il convient de reconnaître que celui-ci va mal, que les gens sont déçus, démotivés, font peu de confiance aux institutions phare de toute démocratie. Quel regard portez-vous sur notre pays ? Quelles paroles de sagesse dans ces temps difficiles ?
C’est vrai que le pays connaît certaines perturbations et que les gens peuvent être inquiets quelquefois. Devant une telle situation, il ne s’agit pas seulement de s’étonner, de se scandaliser et de se plaindre. Mais chacun est surtout appelé à prendre la part de responsabilité qui lui revient pour travailler inlassablement comme artisan de paix. Ce ne sont pas seulement les institutions et ceux qui les représentent qui ont un rôle à jouer. Mais chacun de nous peut apporter sa pierre à la construction de la paix sociale dans ce pays que nous aimons ; il s’agit de rester vigilant et de veiller à ce que nous ne cédions pas aux tentations qui nous assaillent mais que nous restions debout pour lutter afin que les droits de chacun soient respectés. C’est aussi très important d’ouvrir les yeux et de repérer les signes d’espérance qui existent à foison dans le quotidien de la vie de voisinage, d’entreprise, et d’en faire échos dans nos journaux, nos radios, nos conversations. Comme disait le grand théologien de la libération Gustave Guthierez, « il nous faut boire à notre propre puits ».
- Vous faisiez un plaidoyer pour que nous prenions le « chemin de la miséricorde ». C’était à Marie-Reine-de-la-Paix, lors de la messe d’action de grâce pour votre cardinalat et ce, dans le sillage de l’Année de la Miséricorde. Ce Chemin, vous l’inscriviez dans celui de la « solidarité qui rassemble comme une famille ». Miséricorde, solidarité, famille : ces mots resonnent alors que nous célébrons ce dimanche 19 novembre, le 1er Dimanche des Pauvres… Alors que les tentatives de division au sein de la grande famille mauricienne sont légion et que les pauvres sont davantage ostracisés…
C’est vrai qu’à des moments de tensions sociales, nous avons tendance à nous replier sur nous-mêmes et à ne penser qu’à notre sécurité personnelle. Or c’est à ces moments que les pauvres nous interpellent davantage parce qu’ils sont les plus vulnérables, comme en temps de cyclone. Le chemin de la Miséricorde et de la solidarité est, en fait, un chemin de salut parce qu’il nous rassemble autour de l’essentiel : la prise en compte des plus faibles. C’est ce qui se passe souvent dans une famille. C’est l’enfant malade ou handicapé qui, très souvent, suscite, sans le vouloir, des gestes fraternels qui redonnent une santé, une vigueur à la famille. Si nous aimons la famille mauricienne, nous devons porter une attention spéciale aux plus faibles de notre société. Là encore, cela vaut la peine d’ouvrir nos yeux et de découvrir les mille et une initiatives solidaires qui sourcent en quantité autour de nous, de nous laisser attirer par elles, nous joindre à elles afin que les petites gouttes d’eau de la miséricorde deviennent un fleuve qui irrigue et renouvelle notre société.
- Plus que quelques semaines et 2018 sera là avec la célébration du 50e anniversaire de l’indépendance du pays. Comment l’Eglise compte-t-elle s’engager dans cet anniversaire et continuer à faire route avec l’ensemble de la population ?
Un 50e anniversaire est toujours l’occasion d’un temps d’arrêt sur notre chemin : il s’agit de jeter un coup d’œil en arrière pour relire le chemin parcouru avec ses ombres et ses lumières, sans avoir honte et sans se vanter, mais en reconnaissant simplement ce qui a été notre chemin. C’est aussi l’occasion de regarder en avant et rester lucides sur les défis qui sont devant nous et de chercher à prendre des forces pour les affronter ensemble. C’est un peu sur cette ligne que je me propose de m’exprimer dans ma prochaine lettre pastorale de carême.