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P. Labour : « Les milliards de l’Inde à Maurice ne sont pas des cadeaux »

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Nous reproduisons ci-dessous une interview du Père Jean Maurice Labour, Vicaire Général, parue dans 5 Plus Dimanche le 18 juin 2017.
Il y a, en ce moment, beaucoup de craintes autour de la souveraineté de Maurice sur Agaléga. Qu’en pensez-vous ?
Il peut y avoir plusieurs manières de perdre la souveraineté sans la perdre sur papier. Le gouvernement mauricien n’est pas si bête de s’exposer à cette critique tout en luttant pour retrouver sa souveraineté sur les Chagos !  Il pourrait par exemple donner à l’Inde un bail de 99 ans; et donner à la Grande Péninsule tellement de pouvoirs à travers un aéroport militaire déguisé en poste de National Coast Guard destiné à la surveillance de la mer. Ajoutez à cela une pression subtile exercée depuis quelques années sur les Agaléens pour qu’ils quittent leurs pays.

C’est l’absence de projet de développement de cette île ajoutée à l’impossibilité pour les femmes d’accoucher sur l’île qui me poussent, depuis plusieurs années, à parler de véritable génocide. Pourquoi construire cent maisons supposément destinées aux travailleurs indiens qui y viendront avec femmes et enfants ? Une vraie aide de l’Inde à Maurice n’aurait-elle pas dû donner les contrats de construction et d’aménagement à des entreprises mauriciennes tout à fait compétentes pour ces infrastructures ? Je demande formellement que soit rendu public le Mémorandum Of Understanding entre l’Inde et Maurice, afin de dissiper la crainte que la République de Maurice ne perde sa souveraineté sur l’archipel d’Agaléga. Jusque-là, nous ne pouvons que poser des questions et faire des déductions à partir de ce que disent les différents acteurs de la société civile et politique. Par exemple, une piste d’atterrissage tellement longue qu’il semble destinée à accueillir des gros porteurs militaires. Aéroport civil ou militaire ? Contrôlé par qui ? Le public pourra-t-il accéder à l’île pour y faire du business et visiter leurs familles ?

  1. Est-ce que les rumeurs qui attestent que la Grande Péninsule injecte de l’argent dans des projets à Agaléga pour pouvoir utiliser l’île comme un point de ravitaillement pour son armée sont fondées selon vous ?

L’Inde est concurrente de la Chine comme nouvelle puissance de l’hémisphère sud. Agaléga est un atout considérable en face de la base de Diégo détenue par la grande puissance occidentale qu’est Etats Unis, avec la complicité de l’Angleterre. Ces données géopolitiques et militaires sont claires. Nul besoin d’être Sherlock Holmes pour le savoir !! Les  milliards de l’Inde à Maurice ne sont pas des cadeaux mais semblent être des deals bien calculés. Que le gouvernement dissipe les rumeurs en publiant le contrat signé entre l’Inde et Maurice.

  1. Comment accueillez-vous les engagements pris par la Grande Péninsule pour développer larchipel d’Agaléga ? Notamment avec la construction d’une jetée moderne, qui permettra aux bateaux de croisière d’accoster, et la construction d’une nouvelle piste d’atterrissage ?

La construction  des deux infrastructures de base est long overdue  dans la mesure où c’est l’enclavement d’Agaléga qui empêche ou freine tout vrai développement humain. Tous les gouvernements successifs sont coupables de n’avoir pas eu la volonté politique de faire ces infrastructures de base, malgré le fait que depuis 20 ans les budgets ont été votés pour ces items. Toutefois le développement n’est pas que le béton et l’asphalte ! Y a-t-il un plan de développement humain qui accompagne ces infrastructures ? Dans toutes ces discussions, où sont les Agaléens eux-mêmes qui devraient être les premiers concernés et mis dans le coup ? Que fait-on pour que les enfants et les jeunes agaléens  se préparent à prendre  leur place dans des projets de développement qui pourraient suivre la mise en place de ces infrastructures ?  L’Island Council récemment renouvelé a-t-il son mot à dire dans les décisions si importantes qui se prennent en ce moment sur l’avenir d’Agaléga ? L’accostage de bateaux de croisière est un eye-wash qui aveugle sur les vrais bateaux militaires. Le plus petit bateau de croisière va déverser sur l’île un minimum de 500 touristes d’un seul coup. Que prévoit-on pour accueillir ces touristes? De l’eau de coco seulement ?! Un roll-on, roll-off beaucoup moins cher suffirait amplement pour mettre en place des projets qui préserverait l’environnement de cette belle île qui ne peut  accueillir que de petites quantités de touristes à la fois. Une piste d’atterrissage  de la longueur de celle de Rodrigues suffirait.

  1. Etes-vous en contact avec la communauté agaléenne ? Savez-vous comment elle vit tout ce flou autour de l’avenir de pays ?

C’est une population désespérée qui n’ose et qui ne peut pas dire vraiment ce qu’elle pense dans la mesure où elle est maintenue dans une situation de dépendance totale. L’employeur est l’Etat qui contrôle tout le reste : la propriété foncière et immobilière, l’autorité judiciaire et administrative, l’éducation, la santé, l’énergie, les communications. Cet Etat n’a aucune volonté de penser un projet de développement humain. J’ai dit et je maintiens qu’il s’agit d’un génocide à mort lente d’un petit peuple.  Un des leaders d’Agalega me l’a dit : notre peuple aura la même destinée que le peuple chagossien,  avec la différence où  nous sommes poussés à partir en désespoir de cause, par absence de projets de vie pour nous et nos  enfants.

  1. Pourquoi avoir réclamé cette semaine des éclaircissements à la VOH ?

Moi qui suis responsable du dossier d’Agaléga au diocèse de Port-Louis, je n’ai jamais été mis en présence d’un don de la VOH. Même s’il s’avérait être vrai, le message que nous envoie la VOH est le suivant : Taisez-vous ! Vous avez accepté de l’argent pour votre chapelle, ne rouspétez pas contre l’Inde qui veut investir à Agaléga. Un supposé « don », s’il était revêtu de noblesse et de grandeur d’âme, aurait été plus discret. Là, cela ressemble à un chantage disproportionné. Un hypothétique don pour se taire sur un deal qui se chiffre en milliards.

  1. 6. Qu’est-ce qui serait le mieux pour Agaléga selon vous ?

Certainement un accostage bateau et une piste d’atterrissage pour avions commerciaux mais tout cela en proportion avec un projet de développement humain où les Agaléens auraient une place prioritaire pour les décisions et leur mise en œuvre.  Autrement dit, un projet porteur au  service duquel seraient mises les infrastructures.  Le projet porteur pourrait être le suivant : Agaléga et les autres îles de notre archipel pourraient être développées en  espaces verts de détente pour notre  population stressée avec ses 600 habitants au KM2. Cela respecterait et développerait l’environnement durable avec une population capable de partager et ainsi développer sa culture, ses traditions qui sont un enrichissement pour la République toute entière.  Développer les produits du coco et ceux de la mer. Qu’il y ait un poste important de National Coast Guard aidé par l’Inde n’est pas à écarter… Mais que ça soit inséré dans un plan de développement humain au service de la République et non pas aliéné au dictat  des rapports de forces militaires. Telles que les choses s’annoncent, il paraît que le seul projet de « développement » à Agalega se ferait avec du béton, de l’asphalte et des avions.

  1. Parlez-nous de ce que le diocèse fait pour l’île ?

Nous n’aimons pas faire « pour » mais faire « avec ». Depuis les temps de la mission des pères jésuites et spiritains, l’Eglise accompagne ce peuple avec ses grandeurs et ses misères. Mais il revient à l’Etat de donner à ce peuple les moyens de son développement humain;  nous sommes soumis au rythme du non développement de ce peuple. Cependant la présence de deux chapelles, une sur chacune des deux îles, témoigne de notre présence plus que centenaire auprès de cette petite population. La première école se tenait dans l’église. On faisait du 100% de pass. Aujourd’hui nos moyens limités – en prêtres et religieuses, doublé de l’impossibilité de l’accès durable et régulier – rendent encore plus difficile notre mission à Agaléga.

  1. Et qu’en est-il de votre intérêt pour le dossier Chagos.

L’Eglise suit de près la longue lutte de la République pour récupérer sa souveraineté sur les Chagos et ce, depuis le diocèse de Port-Louis  jusqu’au Pape en passant par  la Nonciature Apostolique de Madagascar. Elle a apporté diverses contributions à ce combat dont le dernier en date est le soutien du Vatican à la démarche de l’Etat mauricien auprès de l’ONU pour que la revendication de l’Etat mauricien sur l’archipel des Chagos soit référée à la Cour Internationale de Justice.


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